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Axes de recherche

Le périmètre scientifique des travaux du groupe s’étend sur toute la période d’un long Moyen Age et concerne principalement l’Occident chrétien, sans pour autant s’y limiter : les recherches comparatistes avec d’autres aires culturelles, mais aussi avec d’autres traditions historiographiques européennes et extra-européennes, font partie intégrante du projet. Dans cette perspective, notre programme de recherche sera structuré autour de quatre chantiers de recherche, connectés entre eux, qui incluront chaque fois une forte exigence épistémologique, une réflexion sur la méthodologie, l’historicité et la pratique de l’anthropologie historique.

  1. Anthropologie des savoirs

Ce chantier de recherche s’attache aux relations entre théologie, philosophie, sciences, droit, politique et économie dans le savoir universitaire du Moyen Âge, autant de domaines qui sont généralement traités dans des disciplines bien distinctes (notamment l’histoire de la philosophie et l’histoire du droit). L’ambition est d’abaisser les seuils de communication entre ces différents domaines du savoir ; l’originalité de la méthode mise en œuvre tient à une rencontre entre les disciplines, en un domaine particulièrement fragmenté par l’historiographie. Un tel programme relève de l’histoire intellectuelle sans se couper de l’histoire sociale, puisqu’il s’agit de comprendre comment de nouveaux savoirs et de nouvelles découpes disciplinaires ont pu entrer en interaction avec des changements d’organisation sociale et politique. Il concorde en outre avec la nécessité imposée par l’objet même de la recherche : les méthodes, les individus, les institutions, les visées mêlent, sans les confondre, la théologie, la philosophie, les sciences, la médecine et le droit.

Dans cette perspective, les relations entre rite religieux, expérience magique et production scientifique au Moyen Âge sont étudiées par B. Delaurenti à partir d’un fil conducteur, l’action à distance. Le paradoxe de l’action à distance a suscité des interrogations sur la nature et ses limites, sur le partage entre licite et illicite, sur l’âme et le corps, sur les relations d’influence ou de coercition. Ces interrogations prennent appui sur un corpus de sources constitué de textes doctrinaux (questions de philosophie naturelle, de médecine ou de théologie, traités de magie), mais aussi de sources de la pratique (experimenta médico-magiques ou consilia médicaux). Le travail de Charles de Miramon se situe à l’intersection de l’histoire du droit et de l’histoire religieuse au Moyen Âge. Il étudie les sources normatives en particulier savantes du Moyen Âge avec un regard informé par l’anthropologie et la sociologie du droit et des institutions. Parmi ses travaux récents, on peut mentionner une étude du tabou de la menstruation, une enquête sur l’apparition du sang héréditaire et du mot ‘race’ à la fin du Moyen Âge ainsi qu’une monographie à paraître sur la place des chanoines séculiers dans la juridicisation de l’Occident au tournant du XIIe siècle. Sylvain Piron interroge en parallèle l’élaboration d’une théologie savante (Pierre de Jean Olivi) et la formulation d’une théologie vernaculaire (Marguerite Porete). Il poursuit une réflexion sur la formation des concepts économiques occidentaux au Moyen Âge central. Etienne Anheim poursuit ses travaux sur les rapports entre la scolastique et l’humanisme dans le monde français et italien entre le XIIIe et le XVe siècle. Il s’interroge également sur l’usage des savoirs pratiques d’écriture dans les constructions sociales et culturelles de la fin du Moyen Âge, depuis les bibliothèques jusqu’aux écritures comptables et notariales en passant par les écritures musicales.

Une recherche en cours sur la construction et la transmission d’un savoir partagé au sein de communautés religieuses médiévales (monastiques et mendiantes) s’ouvre sur d’autres types de communautés : universitaires, urbaines et de métiers dans le cadre du Labex Hastec (PC 3). Elle trouvera des prolongements dans la COST-ACTION sur les « Nouvelles communautés d’interprétation (Moyen Age-début des Temps modernes) » étroitement liées à la circulation d’un savoir partagé (M. A. Polo de Beaulieu, J. Berlioz, V. Smirnova).

  1. Anthropologie du visuel

Ce chantier est une extension de la réflexion menée depuis les années 1990 sur la culture de l’Imago au Moyen Age (J.-Cl. Schmitt), centrée sur les notions d’image-objet (J. Baschet), sur l’analyse topographique des images et leur mode d’intervention dans le domaine social.   On restera attentif à l’image-objet et à l’image dans son lieu, articulée avec des pratiques individuelles et collectives, notamment les ex-voto (P.-O. Dittmar, M. A. Polo de Beaulieu, A. Debert dans le séminaire transdisciplinaire avec le CeSor, devenu Atelier Condorcet). Dans un autre registre, la place des images dans les recueils d’exempla enluminés sera encore analysée dans la perspective du lire et du faire-lire de ces instruments de travail des prédicateurs (M. A. Polo de Beaulieu et V. Smirnova), qui contribuent à vulgariser l’exégèse et le savoir scolastique. P. Monnet, pour l’espace de la ville germanique, s’intéressera aux « portraits urbains » ainsi qu’à la mise en place d’une nouvelle grammaire des représentations de la cité en lien avec la carte géographique et l’imprimé. Après de nombreuses années consacrées à l’analyse de la place de l’image dans l’espace ecclésial, un nouveau chantier est aujourd’hui ouvert, qui vise à documenter le processus de « domestication de l’image » au cours de la période, un processus qui voit l’image se diffuser dans des proportions inédites au sein des espaces de vie quotidien, y compris dans des milieux relativement modestes. A ce titre, les découvertes de nombreux plafonds peints au cours des dernières années constituent un corpus considérable dont les données restent à exploiter (P.-O. Dittmar et J.-Cl. Schmitt).

Le lien entre culture visuel et matérialité est au centre des travaux d’Etienne Anheim, en particulier de recherches sur les pratiques de la peinture dans la longue durée. Des cadres sociaux de production artistique comme l’atelier ou la cour sont en particulier étudiés du XIIIe au XIXe siècle, en collaboration avec Charlotte Guichard. Le projet intellectuel consiste à décrire l’articulation anthropologique, sociologique et historique entre des pratiques de la matière et une visualité qui se caractérise par une multiplicité d’effets, sociaux, politiques et même économiques, à partir de la question de la valeur. Ces travaux s’insèrent dans des entreprises de recherche collectives et interdisciplinaires (avec un important volet de conservation-restauration et d’études physico-chimiques) puisqu’Etienne Anheim est vice-président de la Fondation des sciences du patrimoine et membre du conseil scientifique du musée du Louvre et qu’il anime ou participe à des projets de recherche sur la sculpture en albâtre entre le XIVe et le XVIe siècle, sur les sceaux et les matrices de sceaux métalliques. Il est l’un des porteurs d’un projet de DIM « Matériaux anciens et patrimoniaux », déposé à la région Ile-de-France à l’automne 2016, qui associe plusieurs chercheurs du nouveau groupe.

  1. Anthropologie du croire

Dans les sermons, exempla et traités didactiques sont explorés les systèmes de conventions, de normes et de valeurs qui instituent un faire croire individuel et collectif (J. Berlioz et M. A. Polo de Beaulieu, Luc Ferrier, Audrey Pérard) en lien avec le Programme collaboratif 3 du Labex Hastec « Techniques du faire croire ». Depuis l’ouverture de cette enquête sur les exempla par Jacques Le Goff sont publiés des éditions de recueils d’exempla dans une collection dédiée chez Brepols, Corpus christianorum continuatio mediaevalis (Exempla Médii Aevi), sont indexés des milliers d’exempla pour la base de données ThEMA (Thesaurus Exemplorum Medii Aevi) et se multiplient les études thématiques sur ce corpus en voie de constitution et d’élargissement grâce à une ouverture comparatiste vers le Proche Orient (les exempla des Rabbins) et vers l’Orient (Tripitaka chinois ; Histoires qui sont maintenant du passé ou Konjaku-monogatari shû ; Contes d’Uji, ou Uji shû.I monogatari). Les rapports entre croyance, parole et pratiques d’écriture sont également étudiées par Etienne Anheim à partir de la prédication du XIVe siècle, en particulier celle du pape Clément VI, qui prête également attention aux usages de l’image religieuse dans la construction du faire-croire à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance.

La toute récente traduction française de la Chronique de Fra Salimbene de Adam, sous la direction de G. Besson permettra d’amener les étudiants vers cette littérature qui ressort autant du faire croire que du processus de constitution de l’identité franciscaine, un des thèmes fédérateurs entre les membres d’AhloMA.

De plus, le programme collaboratif 3 du Labex Hastec auquel participent plusieurs membres du nouveau groupe, se tourne vers l’analyse des liens entre savoir et croire, une manière de rappeler ici à quel point les quatre chantiers proposés sont intimement liés.

 

  1. Anthropologie des appartenances

Ce chantier interroge les ontologies à différents degrés. Il s’agit en premier lieu de penser la nature des interactions entre humain et non-humains dans le cadre d’une Europe majoritairement rurale. Le séminaire de Pierre-Olivier Dittmar travaille cette question en dialogue avec les anthropologues au sein du programme PSL consacré à la domestication du vivant. Les modalités spécifiques des différentes formes de vie (animale, végétale) sont analysées comme autant d’indices du rapport médiéval à l’environnement. Les conceptions médiévales de la vie invitent d’ailleurs à inclure les artefacts dans cette réflexion en laissant toute leur place aux facultés d’animation et d’agentivité que l’on a pu imputer à certains objets. P. Monnet s’interrogera sur les régimes comparés d’historicité et de découpage du temps entre histoire et disciplines connexes à l’échelle européenne. Il poursuivra l’interrogation sur la représentation de soi à travers une biographie à paraître sur Charles IV de Luxembourg (Fayard). S. Piron poursuit des recherches sur les identités franciscaines, en s’intéressant particulièrement aux courants dissidents. Après avoir achevé l’édition d’une chronique de leur propre mouvement produite par les fraticelles toscans dans les années 1380, un colloque de synthèse sera organisé en 2018, avec A. Montefusco, à Venise.

La variété des textes analysés dans le nouveau groupe est impressionnante : les chroniques des villes allemandes (P. Monnet), les commentaires de la liturgie et les ordinaires (P. Collomb jusqu’en 2014 et M. A. Polo de Beaulieu), la littérature italienne médiévale (E. Brilli), les autobiographies et écritures de soi[1], l’interrogation sur la vie de Jean Jacob (1669-1790…), icône de la vieillesse durant la révolution française qu’étudie J. Berlioz, avec Antoine de Baecque, écrits de Pétrarque par Etienne Anheim. Cette diversité de textes a été approchée comme autant de représentations collectives dans un processus de formation/légitimation des identités sociales et culturelles, tant au niveau individuel que collectif.

Les autobiographies et écritures de soi s’inscrivent dans ces mêmes perspectives comme l’attestent le programme développé par Jean-Claude Schmitt et Pierre Monnet en 2008-2012 (un colloque, deux publications) et le colloque franco-allemand de 2017 ; sur la personne et l’individu au Moyen Age, ainsi que l’étude de l’œuvre d’Opicino de Canistris par Sylvain Piron.

A l’avenir il est envisageable de nouer des collaborations autour de la littérature italienne médiévale (Dante et d’autres auteurs en profitant des liens avec Elisa Brilli, Université de Toronto et Antonio Montefusco, Université de Bologne). La notion de bilinguisme latin / vernaculaire pourra fédérer des recherches (P. Monnet sur villes allemandes, E. Brilli sur la littérature italienne, S. Piron sur le bilinguisme en Toscane au XIVe siècle dans le cadre du nouveau programme de recherche ERC dirigé par A. Montefusco), et J. Berlioz et M. A. Polo de Beaulieu sur un recueil de proverbes latins traduits en ancien français.

[1] Colloque publié sur les Autobiographies souveraines et édition de la Vita de Charles IV de Bohème par P. Monnet et J.-Cl. Schmitt, anthologie à paraître de G. Besson et J.-Cl. Schmitt, Rêver de soi au Moyen Âge.